Sac à Viande

Pondu le 6 janvier 2023 - 0 commentaires

Ça faisait maintenant 2 mois que Julie avait été élue mairesse de son village. Comme personne ne s’était présentée face à elle et qu’elle-même y était allée à reculons, elle avait surtout eu l’impression de se porter volontaire pour une corvée.

Mais elle devait bien admettre que ce nouveau boulot lui plaisait. Les habitants de ce petit patelin rural étaient plutôt sympathiques, et ça la changeait agréablement de son précédent boulot de web design dans une agence parisienne.

Julie n’était pas une personne avec de gros besoins d’interactions sociales. L’être à qui elle parlait le plus quand elle était en région parisienne était son vieux chat Rackham, un énorme matou borgne qui avait décidé de squatter son lit un jour où elle avait laissé la fenêtre ouverte. Comment le chat avait pu grimper jusqu’au deuxième étage restait un mystère, mais ils avaient tacitement établis que le chat prêterait une oreille attentive à Julie, et que celle-ci lui fournirait en retour des caresses et des croquettes.

Elle avait passé un weekend dans un gîte proche de ce village et elle était tombée sous le charme de cette campagne vallonnée, très boisée et où le temps ne semblait pas s’écouler aussi vite qu’ailleurs. Elle était revenue plusieurs fois dans la région et avait fini par acheter une petite maison dans cette bourgade, qu’elle avait fait retaper.

Lorsqu’elle avait fait son burn-out, c’est tout naturellement ici qu’elle était venue se ressourcer. Et elle n’en était plus partie. Elle se faisait régulièrement la réflexion que son cas aurait fait un excellent point de départ pour un téléfilm de Noël si elle avait été un plus jeune, avec un paysage enneigé et un beau gosse célibataire attendant le grand amour.

Le village était composé d’une quinzaine de grandes familles, de quelques dizaines de personnes qui habitaient la commune sans y avoir d’attaches et dont Julie faisait maintenant partie, et d’une poignée d’individus marginaux qui ne se mêlaient généralement pas au reste de la population. On trouvait des célibataires, mais aucun qu’on puisse qualifier de beau. Et pour la neige, avec le réchauffement climatique ça faisait bien 10 ans qu’on n’en avait plus vu dans le coin.

L’ancien maire, un moustachu jovial qui avait refusé qu’elle l’appelle autrement que par son surnom Paulo lui avait rapidement proposé de s’investir dans la commune, et c’est ainsi qu’elle était devenue conseillère municipale en charge de la communication, du tourisme, de la jeunesse, des sports et du comité des fêtes. Elle n’avait pas osé refuser et c’est ainsi qu’elle avait pu faire connaissance avec une grande partie des habitants.

Lorsque Paulo avait fait un arrêt cardiaque en plein conseil municipal, il avait laissé un village complètement désemparé. Paulo était maire depuis plus de trente ans et personne n’avait envisagé qu’il puisse en être autrement, et pas aussi brutalement.

Et c’est ainsi qu’après qu’on l’avait poussée à devenir candidate, Julie était devenue mairesse d’une petite commune. Le travail était moins technique qu’elle ne s’y attendait, la com’com (communauté de communes) prenait en charge beaucoup de compétences normalement gérées par les mairies, notamment parce que les élus des communes qui la composait étaient notoirement nonchalants face à la bureaucratie et aux règlements.

Sa principale préoccupation était pour l’instant d’organiser la fête décennale du Sac de Viande. Julie avait d’abord pensé que ça avait un lien avec les sacs de couchage pour randonneur. Mais non, tous les dix ans on jetait un sac empli de vraie viande dans un ravin proche du village pour éloigner les prédateurs, et ce depuis aussi loin que remontaient les archives du village. Et on était très fier ici d’avoir des archives qui remontait au milieu du Moyen-Âge. Cette tradition n’avait jamais été ignorée, pas même pendant les guerres ou les périodes de famine.

Julie avait demandé pourquoi on jetait de la viande alors que ça devait logiquement attirer les prédateurs et pas les faire fuir, mais elle s’était heurtée à des haussements d’épaules et au poids de la tradition.

Ne cliquez pas sur cette image, vous n'êtes pas équipé pour l'escalader.

Lorsqu’elle avait proposé en séance le mois précédent de récupérer les 60 kilos de viande auprès des invendus périmés des bouchers et des supermarchés du coin son adjoint le plus ancien, un gars taciturne du nom d’Antoine, lui avait répondu que la viande devait être fraîche. Il s’était proposé de s’en occuper avec quelques éleveurs du village, comme ils le faisaient dans sa famille depuis des lustres.

Cette cérémonie – puisque c’était ainsi qu’on l’appelait, ce qui donnait un sens un peu mystique à l’affaire – était également l’occasion de faire un grand banquet, dont la particularité était d’avoir un placement qui était décidé par le chef du village. Depuis que ce banquet existait, le placement était une source de querelles qui duraient parfois des années. On mettait au centre du banquet les personnalités les plus importantes du village, et assez logiquement plus on était placé loin du centre, plus on était perçu comme étant un moins-que-rien.

L’ancien maire Paulo excellait dans l’art délicat de ce placement et avait réussi le tour de force de ne froisser quasiment personne lors des trois précédents banquets. Il avait pour cela une botte secrète qui consistait à déterminer des zones allant du centre jusqu’au bord de la salle, zones qu’il attribuait aux grandes familles du village. Il leur laissait ensuite décider elles-mêmes du placement interne de leurs membres. Si quelqu’un n’était pas d’accord, il ne pouvait s’en prendre qu’à sa famille et non à lui. Seuls les quelques individus plus solitaires restaient à placer par ses soins, et il les connaissait suffisamment pour savoir comment les gérer.

Mais Julie n’avait pas cette expertise, et si les habitants étaient plutôt amicaux avec elle, ils n’étaient pas allés jusqu’à lui fournir les astuces qu’utilisait Paulo. Les fréquentes allusions et inquiétudes des villageois à ce sujet montraient en revanche que c’était une affaire à prendre très au sérieux.

Julie trouva la solution lorsqu’elle fut invitée au mariage d’une de ses cousines. Celle-ci lui avoua qu’elle avait fait appel à une Intelligence Artificielle pour dresser le plan de table, et que ça lui avait épargné bien des tracas. La nouvelle mairesse en parla au Conseil Municipal suivant, et le débat fut intense. Les villageois étaient maintenant habitués à l’usage de l’informatique, qui était devenu quasiment indispensable dans ces communes reculées où la plupart des services publics avaient déserté les lieux. Mais se fier à une machine pour le placement du banquet, voilà qui était nouveau.

Certains redoutaient que l’IA soit piratée, mais personne dans le village n’avait les compétences pour le faire, et une IA de dressage de table n’irait certainement pas intéresser des hackers. D’autres avaient en revanche peur que l’IA fasse un placement qui ne satisferait personne, et c’était une inquiétude plus légitime. Julie proposa alors de faire un essai, et si on constatait que le résultat était pire que ce qu’aurait pu faire la mairesse par elle-même, on ne l’utiliserait pas.

Et c’est ainsi que la commune fit l’acquisition d’une IA. On l’alluma, on renseigna le but de l’opération, la commune concernée et l’IA alla chercher elle-même les informations dont elle avait besoin, à savoir les habitants, leur nom, leur âge, leur sexe, leur adresse postale, leurs revenus, leur patrimoine, leur casier judiciaire… La quantité de données personnelles pouvant être analysées par l’IA était démesurée, mais elle était autorisée par l’Union Européenne à fouiller dans les données privées des citoyens européens tant que son but était non discriminatoire, que l’IA était programmée et hébergée en Europe et surtout qu’aucune donnée personnelle non pertinente pour la tâche demandée n’était dévoilée à qui que ce soit.

Cette disposition avait fait hurler les défenseurs de la vie privée, mais les gouvernements des pays de l’UE avaient tenu à ne pas se laisser dépasser dans le domaine des IA décisionnaires par la Chine et les États-Unis, qui n’avaient pas ces restrictions. Et bien que la majorité de la population de l’Union Européenne y soit défavorable, la mesure était passée.

L’IA finit par proposer une nouvelle méthode d’ordonnancement : au lieu du placement habituel par ordre d’importance, elle proposa simplement de faire un classement par âge.

Lorsqu’on annonça la nouvelle, les gens furent d’abord hostiles au changement : on avait toujours classé par importance, il fallait respecter la tradition. Mais Julie qui commençait à bien connaître ses administrés alla d’abord parler aux matriarches et patriarches des grandes familles. Qui furent rapidement convaincus quand Julie sous-entendit que l’IA allait mettre les plus âgés d’un côté, les plus jeunes de l’autre, et qu’au milieu on retrouverait donc les gens dans la force de l’âge, dont faisaient partie ces chefs de familles. Et qu’ils seraient ainsi placés au centre du banquet, comme avant.

Les matriarches et patriarches imposèrent fort naturellement leur point de vue dans leurs familles. Et une fois les familles convaincues, c’était l’essentiel du village qui devenait favorable au placement par âge.

L’IA dressa un plan de table que Julie consulta. Si la plupart des noms lui étaient familiers, elle remarqua que le doyen du village lui était complètement inconnu, un certain Jean MARTI. Lorsqu’elle en parla à un de ses adjoints, celui-ci lui répondit que le nom lui disait quelque chose, mais qu’il était certain que le doyen était le Vieux René qu’on voyait régulièrement faire la sieste assis sur un banc près de l’église.

Elle finit par être franchement intriguée après en avoir parlé à plusieurs autres personnes, qui lui firent tous la même réponse.

Julie demanda alors à l’IA toutes les infos qu’elle avait réuni sur ce M. MARTI, mais celle-ci refusa : c’aurait été une violation de la vie privée d’un citoyen européen, et sa programmation le lui interdisait. L’examen des archives administratives lui prit un temps considérable mais ne lui en apprit pas d’avantage. Cet homme habitait dans la commune sinon l’IA ne l’aurait pas sélectionné, mais l’administration française n’avait presque rien sur lui.

Elle finit par dénicher dans les plans cadastraux une grande parcelle de plusieurs hectares appartenant à un MARTI. Elle était située en bas du ravin d’où allait être jeté le sac de viande du banquet à venir. En regardant mieux sous Google Maps, elle vit qu’en fait le sac serait jeté DANS la propriété de cet homme.

Julie fouilla dans tous les documents dont elle disposait pour le banquet, mais rien n’indiquait que M. MARTI avait donné son accord pour qu’on balance un sac plein de viande chez lui. Pourtant vu que ce banquet avait lieu depuis des siècles, il devait bien exister quelque part la trace d’un document. Est-ce que quelqu’un s’était soucié d’obtenir l’autorisation de cet homme ? Était-il même encore en vie ?

Julie décida de prendre contact avec ce Jean MARTI. Bien évidemment, elle ne trouva aucun numéro de téléphone et dut se résoudre à aller le voir en personne.

La maison semblait hors d’âge mais bien entretenue. C’était une grosse bâtisse en pierre qui aurait fait fantasmer plus d’un agent immobilier. Le chemin qui y menait serpentait dans un petit bois agréable sur 150 mètres environ depuis la route. Tout était calme et respirait la nature. Julie gara sa petite Peugeot dans l’allée et alla frapper à la porte.

Un homme d’une trentaine d’années lui ouvrit la porte. Julie se présenta :

  • Bonjour, je suis la mairesse. Vous pouvez m’appeler Julie, dit-elle en appliquant la recette de son prédécesseur à la mairie. Je souhaite parler à Monsieur Jean MARTI.
  • Et bien c’est moi, répondit l’homme aimablement.
  • Je… Euh… Excusez-moi mais je cherche quelqu’un qui serait le doyen du village. Vous me semblez un peu jeune pour prétendre à ce titre, répondit-elle avec une pointe d’humour.
  • Je suis plus vieux que j’en ai l’air, répondit l’homme en souriant. Voulez-vous entrer, qu’on démêle tout ça ?

Julie suivit M. MARTI, qui la mena dans une grande pièce qui faisait visiblement office de bibliothèque bien garnie, les murs étant occupés par de grandes étagères pleines de livres. Une cheminée occupait un des côtés, et de grands fauteuils trônaient au milieu de la pièce.

  • Wow, c’est superbe. J’adore votre bibliothèque ! Si j’avais la même, je ne quitterais jamais cette pièce !
  • J’avoue que j’y passe un temps considérable, répondit Jean. Je vous en prie, asseyez-vous dans un des fauteuils. Voudriez-vous un café, ou du thé ?
  • Un café s’il vous plait. Oh, ce fauteuil est génial. Il est tellement confortable.
  • Mettez-vous à l’aise, je reviens.

Lorsque son hôte fut sorti, Julie passa en revue le contenu de la bibliothèque. Plein d’ouvrages qui semblaient anciens occupaient les étagères, dans des dizaines de langues mais beaucoup en espagnol. La présence de cet homme et de sa maison dans ce village semblait improbable. Non pas que les habitants soient des rustres, mais comme dans beaucoup de petites communes il était difficile d’avoir une vie culturelle et d’intéresser les gens au théâtre, à la littérature ou même au cinéma d’auteur. Et ce type avait probablement plus de livres dans sa bibliothèque que l’ensemble des autres villageois réunis.

Jean revint avec deux tasses de café au parfum exquis, lui en donna une et s’assit dans le fauteuil en face d’elle.

  • Alors dites-moi, pourquoi voulez-vous parler au doyen du village, et en quoi est-ce lié à moi ? Ce n’est plus le Vieux René le doyen ?
  • Vous savez sans doute que nous préparons le banquet du Sac de Viande. Faites-moi penser à vous parler d’un truc concernant cette cérémonie d’ailleurs. Donc pour organiser le placement des gens du village…
  • … ce qui n’est pas une mince affaire !
  • … en effet ! Pour organiser ce placement, on a fait appel à une IA. Qui a décidé de classer les gens par âge.
  • Une IA… une intelligence artificielle ?
  • Exactement. Et cette IA vous a placé comme si vous étiez le plus ancien habitant de ce village.
  • Voilà qui est curieux. Et comment cette IA a-t-elle déterminé que j’étais le plus âgé ? Peut-elle avoir fait une erreur ?
  • C’est bien là le problème, c’est que je n’ai pas accès aux données que l’IA a utilisé. C’est pour respecter la vie privée des gens, vous voyez ? Du coup, impossible pour moi de savoir si l’IA s’est trompée, s’il y a une erreur administrative dans une base de données qui vous donne 200 ans, ou si vous êtes réellement le doyen. Enfin je vois bien que vous n’êtes pas le doyen, mais je n’avais aucun moyen de le vérifier sans vous voir en vrai.
  • C’est très étrange en effet. L’IA s’est-elle trompée pour un autre habitant ?
  • Pas que je sache, à part vous tout avait l’air correct.
  • C’est donc que je dois être le plus vieux finalement, plaisanta Jean. Et… vous vouliez me dire quelque chose au sujet de la cérémonie ?
  • Oui, tout à fait. J’ai découvert récemment que ce Sac de Viande était jeté dans votre propriété, mais je n’ai trouvé nulle part la trace de votre accord pour ça.
  • Cette tradition est extrêmement ancienne, et s’est toujours déroulée de la même façon. Je n’ai aucune raison de m’y opposer.
  • Il serait peut-être temps d’évoluer justement. Les gens pourraient l’entendre, j’ai bien réussi à modifier cette histoire de placement au banquet. Et puis balancer 60 kilos de viande, fraîche en plus, c’est un gaspillage énorme.
  • C’est pour éloigner les prédateurs du village, on ne peut pas balancer des carottes.
  • Il y a des siècles peut-être, mais maintenant ?! Il n’y a plus de loups dans la région depuis le début du XXè siècle, j’ai vérifié. Cette histoire de sac de viande, c’est une coutume au goût douteux.
  • Je sais, mais cette cérémonie a lieu depuis la nuit des temps. C’est vrai que c’est un peu macabre, surtout quand on sait ce que les premiers habitants mettaient dans le sac.
  • Ah bon ? Il y avait quoi dedans ?
  • Des êtres humains. C’était un sacrifice aux prédateurs.
  • Je… Non là vous vous moquez de moi !

Le fauteuil sous Julie ne semblait plus aussi confortable. Elle avait trop chaud.

  • Pas du tout. Il se trouve que je connais très bien l’histoire de ce village, ma famille est installée ici depuis très longtemps.
  • J’ai quand même du mal à vous croire. Si c’est vrai, c’est ignoble. Et comment ils appelaient cette cérémonie avant alors ? Je suppose qu’ils l’ont renommé le Sac de Viande quand ils ont arrêté d’offrir des humains.
  • C’est là où ça devient intéressant : ça s’est toujours appelé ainsi. Mais d’après la légende, ce ne sont pas les villageois qui l’ont nommé de cette façon.
  • Qui a donné ce nom alors ? Demanda-t-elle.
  • Les prédateurs bien sûr !
  • Les prédateurs ? Attendez, comment ça… mais c’était quoi ces prédateurs ? Une secte cannibale ?!

Jean haussa les épaules sans se départir de son léger sourire. Julie commençait à se sentir vraiment mal à l’aise et elle s’agita sur son fauteuil. Soit cette histoire était dingue, soit ce type l’était, soit il se foutait copieusement d’elle.

  • Il est regrettable que Paulo soit mort si brutalement, dit Jean le plus sérieusement du monde. Il n’a pas eu le temps de tout vous dire sur cette cérémonie… Mais vous avez sans doute remarqué que personne dans ce village ne prend ça à la légère, même à notre époque moderne où on ne croit plus aux monstres.

Julie était maintenant convaincue que Jean ne blaguait pas. Les deux possibilités restantes ne lui plaisaient pas beaucoup.

  • Écoutez, je ne vais pas vous déranger plus longtemps, le coupa-t-elle. Merci pour toutes ces infos, vous recevrez très bientôt une invitation pour le banquet.

Julie se leva rapidement, bredouilla un au-revoir peu convaincant et sortit de la grande maison en pierre. Une fois dehors, la sensation de malaise se dissipa aussitôt. Le charme du jardin l’apaisa immédiatement.

  • Ça va pas du tout ma vieille, tu vas péter un plomb à force, dit-elle à voix haute en soupirant.
  • Ne vous inquiétez pas pour le Sac de Viande, fit la voix de Jean derrière elle.

Elle ne l’avait pas entendu arriver. Il était sur le pas de la porte, dans l’ombre du patio.

  • Il n’y a aucun problème à le jeter dans ma propriété, continua-t-il. Je me débarrasserai de la viande, comme lors des cérémonies précédentes.

Julie se retint de lui demander à combien de cérémonies il avait déjà assisté. Elle monta dans sa voiture et repartit vers le village.

La semaine suivante, l’IA lança l’impression des invitations pour tous les habitants de la commune. Julie avait pu mettre à contribution ses compétences en design pour créer le modèle de lettre. Alors qu’elle pensait d’abord tout poster, elle se rendit assez vite compte que la plupart des habitants préféraient venir en personne à la mairie chercher leur invitation. Elle n’eut à poster finalement qu’une vingtaine de lettres sur l’ensemble des villageois, dont celle de Jean MARTI.

Les journées suivantes s’enchaînèrent assez rapidement pour Julie. Le banquet serait dans moins de trois jours, mais elle avait bien d’autres choses à gérer. Une querelle de voisinage, des bêtes enfuies d’un enclos et qui s’étaient retrouvées sur la voix de chemin de fer, une adolescente qui avait fugué, le toit de l’atelier municipal qui avait des fuites…

Le jour venu, le village entier se rassembla dans le pré au dessus du ravin. Julie fit un court discours sur l’importance des traditions et salua la mémoire de l’ancien maire Paulo, puis elle passa la parole à Antoine, son adjoint qui avait bien voulu présider la cérémonie.

Celui-ci demanda solennellement qu’on amène le Sac de Viande. Dans un silence complet, deux agriculteurs amenèrent un grand sac en toile rempli de viande et le jetèrent dans le vide. Le ravin faisait à peine 10 mètres de haut, aussi on entendit distinctement le sac s’écraser par terre dans un bruit mat.

Certains anciens marmonnèrent une phrase qui échappa à Julie, puis tout le monde se rendit au banquet. L’IA avait vraiment eu une idée de génie en plaçant les gens par âge. Les habitants rassemblés par tranche d’âge et partageant ainsi des préoccupations et envies communes purent passer leur soirée à boire, manger et rire. L’ambiance du banquet contrastait singulièrement avec celle de la cérémonie du sac.

Julie passa de table en table, buvant plus que de raison, parlant beaucoup et ne mangeant que trop peu. C’est un peu éméchée qu’elle se retrouva à la table des plus âgés. Le vieux René, complètement saoul, était en train de brailler une chanson avec ses camarades de table. La chaise à côté de lui était restée vide.

  • Tiens, vous n’êtes pas assis à la place du doyen ? Lui demanda-t-elle.
  • Qui ? Moi ? J’ai à peine 20 ans ! Répliqua René dans un grand sourire édenté.
  • Vous savez, je n’ai pas pu savoir si l’IA… oui pardon, le programme informatique s’est planté en décrétant que vous n’étiez pas le plus vieux, ou si ce Jean MARTI qui est censé être le plus vieil habitant du village existe vraiment. Un vieux Jean MARTI, je veux dire.
  • Voilà un mystère qu’on ne résoudra pas ce soir, beugla le vieux René. Ça fait plus de bouffe pour nous, c’est tout ! Et avec toute la viande qu’il y avait dans le sac, on s’ra pas les seuls à faire un festin cette nuit ! Vous z’aurez qu’à revenir demain, vous verrez que tout a disparu là-bas !
  • Vraiment ? Vous êtes déjà resté pour voir quel genre d’animal récupérait toute cette viande ?
  • La cérémonie a toujours lieu pendant une nouvelle lune, on n’y voit jamais rien ! Et puis c’est bien connu, faut pas déranger un prédateur quand il mange.
  • Mais quel prédateur ? Insista Julie. Il y a encore des loups, ou des ours par ici ?
  • Pour bouffer 60 kilos de viande aussi vite, ça doit pas être un chihuahua, ricana un des anciens. Je tiens pas à me retrouver face à cette bestiole !
  • Faut pas y aller en pleine nuit, renchérit René. C’est un coup à vous faire bouffer vous aussi ! Et les prédateurs auront eu deux sacs à viande pour le prix d’un !

Julie prit congé des anciens et sortit prendre l’air. La salle où avait lieu le banquet n’était pas très loin du ravin. Peut-être que… Non. Oh et puis si, il fallait qu’elle en ait le cœur net. Elle alla prendre sa lampe torche dans sa voiture, une lampe puissante qu’elle avait acheté en déménageant ici au cas où elle tombe en panne au milieu de la forêt en pleine nuit. Puis elle se dirigea vers le pré où avait eu lieu la cérémonie.

Lorsqu’elle se pencha au dessus du ravin, éclairant le terrain en dessous, elle vit le sac ouvert. Deux pieds en sortaient. Des pieds fins et dont les ongles d’orteils étaient vernis d’une couleur sombre.

Puis deux yeux apparurent dans la lumière de la lampe avant de se lever vers elle. La bouche sous ces yeux se mit à sourire. Un sourire immense, monstrueux. Trop de dents, trop longues, trop pointues…

Le vieux René avait raison, tout le monde allait manger à sa faim ce soir.


Le quotidien régional du coin fit un article sur la réussite de la fête du Sac à Viande, une coutume locale qui revenait tous les dix ans, et un autre sur la tenue prochaine d’élections municipales anticipées dans cette même commune.

D’après l’article, les candidats à la mairie ne se bousculaient pas.

Je suis un spammeur, vite je commente !


Pixel mort

Pondu le 4 août 2021 - 0 commentaires

Pas de jolie fille dénudée cette fois-ci, mais une nouvelle pondue en lisant cette quote de DansTonChat.com.

Pixel mort

Jour 1

Ça a commencé il y a deux semaines, mais ça pourrait dater d’encore avant. Un pixel blanc, sur mon écran d’ordinateur à la maison. Un seul pixel, dans le quart supérieur de l’écran.

Sur un écran, on parle de pixel mort dans deux cas : soit il ne s’allume pas, soit reste allumé sur une couleur fixe. Dans mon cas, ce pixel mort est blanc.

Non en fait, il n’est pas tout à fait blanc. Pas gris, pas crème non plus. Un espèce de blanc très légèrement jauni. Et il est là, sur mon super écran haut de gamme qui n’est évidemment plus sous garantie depuis un mois seulement.

Bon après c’est juste un pixel, je peux faire abstraction. J’ai eu pendant des années un vieil écran avec des pixels morts dessus, je m’y étais habitué.

Jour 6

Le samedi, j’aime bien jouer aux jeux vidéo pour commencer la journée. C’est un peu mon petit plaisir du weekend, je suis dans ma bulle, ça me détend.

J’allume mon PC, l’écran du mot de passe apparaît. Avec ce foutu pixel mort, évidemment.

Sauf que… il n’est plus au même endroit non ? Il est toujours à gauche, mais il est un peu descendu. Non, je ne suis sans doute pas bien réveillé. Et puis ça ne va pas me gâcher ma journée.

Jour 7

Ce matin j’ai voulu vérifier un truc sur Internet. J’allume mon PC, et… le pixel est encore descendu. il était en haut de l’écran, il est presque au centre à présent. Cette fois j’en suis sûr, ce pixel a bougé.

Je suis informaticien depuis vingt ans, je n’ai jamais vu ça. Personne n’a jamais vu ça, des pixels morts qui se déplacent. Ce n’est peut-être pas un problème matériel alors… Un virus à l’ancienne peut-être, une mauvaise blague d’un type qui a fait ça pour s’amuser ?

Je passe la journée à tout vérifier, tout nettoyer. J’ai redémarré plein de fois mon PC, et ce foutu pixel mort se voit dès le démarrage, ce n’est donc pas un virus classique ayant infecté Windows.

C’est peut-être dans le firmware de l’écran, ce petit logiciel interne qui sert à régler l’affichage ? Ah, il y a justement une mise à jour pour mon écran. Je l’installe… Oui, il a disparu !

Ah ah, c’est qui le plus fort ? Victoire par KO !

Jour 12

Un pixel blanc est apparu sur mon écran au travail. Le même pixel blanc sale que j’avais chez moi, au même endroit. Je n’ose pas le montrer à mes collègues, j’ai peur que ce soit une hallucination. Ce n’est pas possible, mon écran au travail n’est pas de la même marque, et lui ne se met pas à jour.

Je passe la journée à chercher sur Internet des cas similaires au mien, c’est peut-être un type qui s’amuse à cibler quelqu’un pour lui réclamer de l’argent, ou par pur sadisme. Les gens sont tellement tordus…

Jour 15

Je n’ai rien trouvé sur Internet. Il y a bien des cas qui ressemblent à ça, mais il s’est trouvé finalement que c’était juste l’écran qui flanchait petit à petit, ce qui donnait l’impression que les pixels morts se déplaçaient. Mais aucun cas de piratage ou de virus qui permettrait d’afficher à volonté un pixel blanc sur n’importe quel écran.

Le pixel blanc sale est réapparu sur mon écran à la maison.

Jour 17

Ce matin, alors que je montrais quelque chose à un de mes collègues sur mon écran, il me dit : « Hé t’as vu, t’as un pixel blanc sur ton écran, ça te gêne pas ? ». Si si, ça me gêne. Je ne vois même que lui. Je le remarque tout le temps, même sur un fond blanc vu qu’il n’est pas tout à fait blanc justement.

Je ne dors pas très bien la nuit, et j’ai du mal à me concentrer au boulot à cause de ce simple tout petit pixel mort. Mais au moins ce n’est pas une hallucination puisque mes collègues peuvent le voir. Quelque part, ça me soulage.

Jour 23

Il a grossi. Hier un autre pixel mort est apparu à côté du premier, et cet après-midi ils sont quatre. Quatre pixels, ce n’est pas non plus intravaillable, c’est juste très inconfortable.

Maintenant qu’il y en a plus, je vois bien qu’ils ne sont pas blancs. La couleur ressemble à celle d’un gros bouton d’acné énorme, un blanc dégueulasse.

Je formate mon poste, je le réinstalle complètement. Les pixels blancs ne sont plus là. Je suis soulagé, bien plus que je ne l’aurai cru.

Jour 25

Le pixel mort est réapparu en haut à gauche. Je demande à mon responsable si je peux changer d’écran.

Jour 26

Mon responsable a donné son accord, j’ai remplacé mon écran par un modèle tout neuf et plus grand. Pas de problème d’affichage, tout va bien. Je pense qu’en suis débarrassé cette fois. C’est dingue cette histoire quand même.

Jour 29

les pixels morts sont revenus sur mon nouvel écran de boulot.

Ils sont là, au centre à gauche de l’écran, à me narguer. Pile au centre, j’arriverai sans doute à les ignorer, mais comme ils sont légèrement décalés sur la gauche, c’est insupportable. Je ne dis rien à mes collègues, ils vont me prendre pour un fou.

Jour 32

J’ai informé mon responsable, en lui parlant de mon PC de bureau et de celui chez moi. Au début il a cru que je me foutais de lui, mais les pixels morts sont bien là.

Il a essayé les mêmes manips que j’ai déjà fait dix fois, sans plus de succès. Tant pis, je vais faire avec.

je dors à nouveau très mal, je suis irritable.

Jour 36

On est lundi. J’aime mon travail, donc je n’ai pas d’à priori négatif sur les lundis. Mais là, je dois me forcer pour aller au boulot. J’arrive souvent dans les premiers sur les cinq personnes qui travaillent dans le même bureau que moi. D’habitude j’apprécie ça, mais là je regrette de ne pas pouvoir être distrait par ce qui se passe autour de moi.

D’autres pixels morts sont apparus. Il y en a maintenant une bonne dizaine. J’ai une tâche blanche bien visible sur mon écran. Je ne sais plus trop quoi faire là.

Un de mes collègues arrivé tôt lui aussi a une idée brillante : et si j’essayais de brancher un autre écran en plus du mien ? Comme mon poste supporte le multi-écran, je branche mon ancien écran à côté du nouveau.

Ouf, pas de taches sur celui que je viens de rajouter. Je peux donc travailler sur un seul écran pendant que l’autre affiche ces pixels dégueulasses.

Jour 37

J’ai fini par mettre un post-it sur l’écran pour masquer les pixels morts. J’avais l’impression qu’ils m’observaient, ça devient n’importe quoi cette histoire.

Jour 40

Alors que la semaine ne s’est pas trop mal passée, je m’apprête à partir en weekend. Je finis d’écrire de la documentation technique, je sauvegarde et… Non, je dois rêver… Un pixel pas tout à fait blanc est apparu sur mon deuxième écran. En haut à gauche. Je le vois même sous Word alors que la page est blanche.

J’éteins précipitamment mon poste et je pars rapidement.

Jour 43

Nouvelle semaine, nouveau lundi. Ce putain de pixel mort est toujours là. Et il a déjà commencé à migrer vers le centre de l’écran.

J’enlève le post-it de l’autre écran : la tache a encore grandi. Les pixels morts ne forment pas une tâche ronde, elle est légèrement allongée. Et la couleur semble légèrement différente au centre, elle a pris une teinte légèrement grise, moins lumineuse.

Mes collègues pensent à un virus eux aussi. Mais quand je leur explique dans le détail tout ce que j’ai déjà fait pour résoudre ce problème, ils n’ont pas plus d’explication que moi.

Jour 45

Comme ça fait des jours que je dors très mal, j’ai une tête de déterré. Mon responsable me conseille d’aller voir un médecin sans tarder.

Je prends ma journée, et j’appelle mon médecin. J’ai du bol, il a une place libre pour ce soir.

Jour 57

Après une semaine d’arrêt, je me sens bien mieux. Je n’ai bien sûr pas tout dit à mon médecin, mais il a bien vu que ça n’allait pas vu qu’il m’a donné des cachetons pour mieux dormir. Moi qui ne prends même pas de Doliprane quand j’ai mal à la tête, je me suis jeté dessus.

Je retourne au boulot la boule au ventre. Me voilà devant mon ordinateur éteint. Et je n’ai aucune envie de l’allumer. Je voudrais être le plus loin possible de cet écran.

J’appuie sur le bouton, le PC démarre. Et les tâches sont là, sur les deux écrans. Elles ont encore grossi, je ne peux même plus m’en servir.

Un de mes collègues récupère un vieil écran dans un coin, et on le branche à la place de ceux que j’avais. Les taches ont disparu. Je met un fond d’écran sombre exprès, pour bien vérifier qu’aucun pixel blanc ne s’affiche. Mon collègue vérifie en même temps que moi, je n’ai plus confiance dans ce que je vois.

Puis sous nos yeux, un pixel mort apparaît. Un seul, en haut à gauche. Et il commence à se déplacer vers le centre. Lentement, avec obstination.

Mon collègue n’en croit pas ses yeux, il n’arrive pas à détacher le regarde de ce foutu pixel qui migre vers le centre de l’écran. J’arrache la prise de courant et je me mets à pleurer.

Jour 58

Je suis rentré chez moi hier après l’incident.

Mon collègue a fini par rallumer le poste en présence de tous les gens qui travaillent dans le bureau. Ils ont bien vu le pixel mort, mais celui-ci n’a pas semblé se déplacer. Mes autres collègues ne savent pas trop quoi en penser. Que moi j’hallucine passe encore, mais que mon collègue aussi… Ça fait beaucoup.

Jour 59

Tout mon bureau est en mode enquêteur. Je suis revenu au boulot, on est tous derrière mon écran pour essayer de comprendre.

J’allume le PC. Le pixel mort est bien visible. Et lentement, il recommence à bouger. On a tous le regard fixé sur cette tache presque blanche, sur le mouvement improbable de ce petit pixel cassé.

Chacun lance des hypothèses, tente des manipulations, on formate le poste, tout ce que j’ai fait déjà plein de fois. Sans plus de succès. Le pixel mort a déjà commencé à contaminer ses voisins, la tache s’agrandit.

Mon responsable me donne un ordinateur portable qui était en test en disant que peut-être que le formatage ne suffit pas. Certains virus sont en effet capables de réinfecter un poste même après qu’il ait été remis à zéro.

Mais en moins d’un quart d’heure, le pixel mort apparaît sur mon nouveau poste.

Personne ne sait plus quoi faire, mais il apparaît clairement que je ne dois plus me servir d’un ordinateur. Pour un informaticien, ça va être compliqué. Je rentre chez moi.

Arrivé à la maison, je consulte machinalement mes mails sur mon smartphone. Je le lâche en poussant un cri : là, en haut à gauche, un pixel blanc est apparu.

Jour 60

Je suis à nouveau arrêté par le médecin. J’ai fini par lui parler de mon problème. C’est un bon médecin, il n’a rien laissé paraître. Je lui ai donné le numéro de mon boulot, pour qu’il contacte mes collègues en cas de besoin.

Je n’ose plus toucher à tout ce qui a un écran, même la télé.

Jour 65

Le médecin m’a rappelé. Il pensait soit à un problème oculaire, soit à un problème psychiatrique. Mais après avoir appelé mes collègues qui ont confirmé mon histoire, il s’est carrément déplacé jusqu’à mon travail pour constater de lui-même le problème.

Cette histoire l’intrigue au plus au point et il est comme un gosse devant un tour de magie, mais j’ai du mal à partager son enthousiasme. Il me demande si je suis d’accord pour passer quelques tests. Bien sûr que je suis d’accord, je ferai n’importe quoi pour que ça s’arrête.

Sur mon smartphone, la grosse tache blanchâtre a envahi la moitié de l’écran.

Jour 73

Mon médecin a pris sa journée pour m’accompagner. Mon problème semble beaucoup l’amuser. Pas moi, c’est un peu mon métier qui est en jeu. Et puis se passer de tout ce qui a un écran de nos jours…

On me fait faire des tests d’effort, on regarde ma vue, on me met devant un ordinateur qui sans surprise de ma part affiche un pixel mort au bout de deux minutes.

On me met devant un deuxième ordinateur : pareil. Un type émet l’hypothèse d’une perturbation magnétique de ma part, mais ils n’ont pas l’équipement pour faire des tests. Il faudrait m’envoyer dans un labo de recherche, avec des équipements plus pointus.

Mon médecin doit connaître pas mal de gens dans ce domaine, puisqu’après quelques coups de fil de sa part, il m’annonce que je dois me rendre dans un labo sur Paris.

Génial… Je note le rendez-vous sur un agenda papier, ça fait déjà deux smartphones dont je bousille l’écran en essayant de m’en servir.

Jour 85

Les mecs sont des pointures, ça se sent. Contrairement à ce que je pensais, la plupart de ces chercheurs n’ont pas une dégaine de savants fous, ils sont tout à fait normaux. Moi qui adore les clichés, je suis presque déçu.

Par contre ils ne trouvent aucune cause plausible à mon problème. Ils m’ont fait asseoir devant une dizaine de postes informatiques, en filmant le tout. Chaque fois les pixels morts sont apparus en haut à gauche, se sont déplacés et ont contaminé les pixels d’à côté jusqu’à ce que l’écran soit entièrement blanc sale/gris.

Je passe une batterie impressionnante de tests, pour vérifier des hypothèses de plus en plus farfelues. Non, rien ne semble clocher chez moi.

En attendant je ne peux plus travailler. Je suis en congé longue maladie, mais ça ne pourra pas durer indéfiniment.

Jour 102

Un de mes collègues vient de m’appeler. Un pixel mort blanchâtre est apparu sur son écran, ça ne l’amuse pas du tout.

Jour 175

Ça fait maintenant un mois que le phénomène des « pixels zombies », comme les ont appelé les médias, constitue l’essentiel de l’actualité. Le nombre de gens qui contaminent les écrans est en augmentation constante, comme un virus extrêmement contagieux. On recense des centaines de milliers de cas partout dans le monde, et on parle déjà d’une récession monstre, de la chute de la bourse, de la fin du monde.

Je n’ai pas approché d’un écran depuis des mois maintenant. J’ai déménagé, j’ai coupé tous les ponts avec mon ancienne vie. Mes nouveaux voisins ne me connaissent que comme le gars un peu bizarre venu jouer au maraîcher dans leur campagne profonde.

Je vais bien.

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T’es vraiment un mouton du cheveu toi…

Pondu le 14 avril 2021 - 3 commentaires

L’autre jour j’ai fait un rêve plutôt étrange, dans lequel j’étais dans une galerie de centre commercial avec Valérie Pécresse, qui me disait avec la voix de Nadine Morano (j’ai toujours pensé que ces deux personnages étaient en fait la même personne) qu’en matière de tourisme il fallait arrêter d’être un mouton et de visiter la même chose que tout le monde.

Voici ce que je lui ai répondu :

Si ça plaît à 90% des gens, alors ça me plaira aussi. Je ne vais pas aller visiter des trucs nuls que personne ne veut voir sous prétexte d’anti-conformisme.

Oui, j’ai vraiment rêvé ça et je trouve que ma réponse était parfaite. Et il se trouve que j’ai des personnalités politiques de droite qui s’invitent dans mes rêves, c’est comme ça et je ne m’excuse pas.

Vous vous demandez sans doute où je veux en venir avec tout ça, et bien je n’en sais rien non plus mais puisqu’on parle de moutons, je vais rebondir sur le fait qu’on associe les cheveux raides à des cheveux laids.

J’en veux pour preuve qu’on dit « des boucles soyeuses », et des « cheveux raides comme de la paille ». Convenons ensemble de la discrimination évidente qui est faite à l’égard des cheveux qui ne courbent pas, puisque les termes soyeux et paille sont à chaque bout du nuancier de la douceur.

Et personne n’aime se rouler dans la paille. Ça pique, ça gratte et c’est pas du tout agréable. Donc en avoir sur les cheveux, ce n’est évidemment pas bon signe pour votre carrière d’Apollon Mondain.

On va me rétorquer que beaucoup de personnes aux cheveux longs aiment les lisser. Ce en quoi je vous ferai remarquer qu’à part une minorité de punks à chiens, aucune d’entre elles ne souhaitent les voir raides comme un piquet. Vous voulez vraiment que votre tête ressemble à un dessin d’enfant avec des traits droits en guise de cheveux ?

Non ce que les gens veulent dans ce cas, c’est qu’ils ne bouclent pas. Si vous observez un cheveu lissé, il n’est évidemment pas raide et droit sur toute sa longueur. Simplement la courbe est très très modérée1.

C’est exactement le même problème qui fait qu’en cas de pilosité faciale (ce qui arrive plus souvent aux hommes, convenons-en) on se retrouve avec des poils dignes d’un scotch-brit qui vont empaler le visage des malheureux et malheureuses à qui vous ferez la bise ou un câlin2.

Mais il y a pire. Le problème des cheveux raides touche plus la population masculine que féminine (Étude IPBI de mars 2021). Et ça peut donc se combiner avec un autre souci capillaire, à savoir la chute de cheveux et l’apparition de zones sur le crâne qui sont désertés par les poils. Et alors qu’on pourrait penser qu’un problème chasse l’autre (pas de cheveux = pas de problème de cheveux raides), ce n’est en réalité pas le cas puisque la calvitie comme la raideur des cheveux ne sont pas des phénomènes homogènes et vous aurez donc les deux calamités conjointement installées sur votre cuir chevelu. Oui, c’est moche et c’est surtout très compliqué à camoufler3.

Vous allez me dire que certaines personnes y arrivent très bien. Et pour me rabattre le caquet, vous allez me parler de Jude Law4. Voyons ce qu’il en est sur cette photo, alors que nous surprenons notre homme en pleine introspection :

Jude Law, un gars concerné par la collecte des déchets
Jude Law, un acteur qui ne semble pas vieillir selon la même ligne temporelle que tout le monde (il a été jeune, puis vieux, puis re-jeune, puis on ne sait plus).

Et bien vu comme ça effectivement, on voit mal en quoi ça handicape le bonhomme d’avoir des problèmes capillaires. Sauf que mon propos n’est pas de vous parler de perte de cheveu5 mais de cheveux raides. Et Jude Law n’a pas ce problème, la preuve en images :

Jude Law, un gars qui est soyeux du cheveu
Le même Jude Law probablement un peu plus jeune ou un peu plus vieux, on ne sait pas trop. Mais il a plus de cheveux.

Donc c’est facile d’être beau gosse avec de telles bouclettes. Et avec un super coiffeur. Et quand le reste n’est pas moche non plus. Non parce que vous avez choisi Jude Law, mais vous avouerez qu’on trouve plus laid comme garçon.

Dans tous les cas c’est mieux si vous avez de belles bouclettes mais si vous le pouvez, soyez belle/beau aussi, ça aide :

Une touriste avec une chevelure soyeuse
Si comme moi vous aimez ce que vous voyez, alors vous n’êtes vraiment qu’un mouton. Sortez des sentiers battus et ayez vos propres goûts un peu. Ça ce sont les miens, et je ne les prête pas.

J’avoue avoir hésité à vous mettre des photos de Nadine Morano tout en bouclettes, et Valérie Pecresse tout en cheveux lisses. Mais vous n’y perdez pas au change avec mes illustrations, je vous le garantis.

Mais pour en revenir à ces deux femmes politiques, est-ce qu’on les a déjà vu l’une à côté de l’autre ? Moi je dis qu’on sait pas, et que si ça se trouve c’est la même personne ! Et comme elle est super fourbe, elle fait semblant de détester son alter-ego pour éviter d’avoir à se retrouver avec ses deux avatars au même endroit en même temps.

C’est aussi ça ne pas être un mouton, c’est oser le complotisme.


  1. J’avais dans l’idée de vous assommer avec le calcul d’une courbe, mais je n’y comprends tellement rien que je ne vais même pas m’y risquer. Mais si vous êtes curieux-se, voici l’article wikipedia

  2. Cette note a été écrite un beau jour de pandémie, mais peut-être qu’un jour on pourra de nouveau se dire bonjour avec un contact physique. 

  3. Je précise par fierté que je ne suis pas encore touché par la calvitie, même si on m’a déjà dit quelques fois qu’on voyait mon crâne un peu plus qu’avant. Les gens sont méchants, que voulez-vous… 

  4. Vous aurez écarté de vous-même Bruce Willis qui est chauve depuis tellement longtemps qu’il faut regarder un des premiers Die Hard pour se souvenir qu’il a déjà eu des cheveux un jour, qu’il avait lui aussi un problème de calvitie précoce et que de toute façon il n’avait pas les cheveux raides. 

  5. En fait bien sûr que si, mais vous êtes ici chez moi et ce blog carbure à la mauvaise foi. 

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Peut-on avoir trop de décorations de Noël ?

Pondu le 12 décembre 2019 - 2 commentaires

Commençons par la réponse : Non, bien sûr.

Voilà, inutile de lire le reste, vous avez la réponse à cette question.

Albane prétend que je ne sais pas m’arrêter, et que me laisser seul dans un rayon décorations de Noël est complètement irresponsable. Alors que j’arrête quand je veux.

La preuve, en juillet je n’y pense absolument pas.

J’ai toujours été fasciné par les décorations dans les téléfilms de Noël depuis que je suis adolescent, puisque je ne me souviens pas avoir vu ce genre de programmes télévisuels avant. D’ailleurs dans ce genre de films, ils ont toujours de quoi décorer un grand magasin, mais c’est bien rangé dans leur grenier dans des cartons même pas poussiéreux et ça suffit à peine pour leur maison il est vrai souvent comparable à un petit manoir.

Jamais on ne les verra ranger ces décorations, ni essayer de démêler des guirlandes bien entortillées. Je suppose qu’ils sont l’équivalent des gens qui sont capables de décortiquer des crevettes avec un couteau et une fourchette1.

Si j’aime particulièrement Noël, c’est parce que je suis un garçon optimiste et pas méchant, ce qui me classe régulièrement dans la catégorie trop souvent moquée des Bisounours. Et cette période est la seule où être un Bisounours est socialement acceptable parce que l’esprit de Noël est avant tout un gros mélange de guimauve, de bons sentiments et de petites clochettes qui carillonnent. En plus c’est l’occasion de retrouver un peu de cette naïveté qu’on avait étant enfant, et qu’on ne peut plus se permettre de conserver une fois adulte.

À Noël, chacun a ses traditions. Nous par exemple, on aime regarder des téléfilms de Noël avec des crottes en chocolat plein la bouche, blottis sous des plaids (de Noël bien sûr) alors que le poêle tourne à plein rendement, avec en prime le chat qui prend toute la place sur le canapé et des boissons chaudes. C’est finalement assez classique.

Mais certains en ont d’autres : nombre de grincheux profitent ainsi des périodes de fêtes pour signaler bruyamment (y compris sur les réseaux sociaux) que les fêtes c’est nul et que l’Esprit de Noël c’est à gerber. Et ils vont le signaler ainsi chaque année à cette période, transformant ainsi une critique compréhensible en tradition annuelle liée à Noël.

Autre tradition personnelle : ma ceinture abdominale a tendance à prendre du volume durant cette période sans qu’aucune explication scientifique ne puisse expliquer ce mystère. Pas le moindre petit indice, rien. Incompréhensible.

Noël, c’est aussi une bonne occasion d’aller braver les premiers gros froids hivernaux pour se balader dans les marchés de Noël, boire des trucs étranges comme du vin chaud, manger des gâteaux épicés, passer deux heures dans le froid, ne rien acheter d’autre que des trucs à grignoter sur le moment et finalement faire ses achats sur Amazon comme tout le monde.

Et parlons un peu de la bouffe : on peut manger d’excellents plats, tout en gras et en sucre, boire du bon alcool (avec modération parce qu’on conduit), entamer des débats enflammés sans que ça mène au pugilat puisque le plat suivant arrive et que ça clôt de fait l’épineuse question de qui de l’hippopotame ou de l’éléphant est le plus balèze.

Sans parler des calendriers de l’Avent, qu’on peut décliner à toutes les sauces avec des jouets, des bières, des chocolats, des sex-toys

Bon c’est aussi une grosse fête commerciale, mais acheter des tonnes de cadeaux pour les offrir à ceux qu’on aime est quand même une belle façon d’assouvir ses pulsions de consommateur compulsif.

Ne cliquez pas sur cette image, vous ne pourrez rien mettre dans cette Mère Noël...
Il me fallait une séparation visuelle avant d’entamer ma conclusion, voici donc un joli intermède.

De toute façon vous pouvez toujours lutter, dire que Noël c’est qu’une fête commerciale et que tous ces bons sentiments sont aussi faux que la rumeur comme quoi je perds mes cheveux. Car il est une vérité irréfutable, en ces temps où on ne peut plus faire confiance à personne :

Noël est un virus.

Cette fête s’est incrustée dans le commerce, dans la religion, dans la télévision, dans la vie locale (quelle ville ne propose pas de marché de Noël aujourd’hui ?), dans la gastronomie, dans la longue liste des trucs qui énervent les gens blasés, dans les photos érotiques, dans Netflix, dans votre budget, partout ! Et elle revient chaque année avec plus de régularité qu’une épidémie de grippe ou de gastro. Même pendant la 1ère guerre mondiale, elle fut l’occasion de trêves entre soldats ennemis.

Et ce n’est pas Eva2 qui dira le contraire. Il y a 8 ans elle était comme vous, elle me regardait d’un air méprisant quand je commençais à m’enthousiasmer pour les fêtes à la fin du mois de novembre, elle ne décorait pas sa maison et elle ne faisait même pas de réveillon.

Cette année, elle a commencé à poser ses décorations de Noël AVANT le 1er décembre3


  1. Et je l’ai vu faire en vrai, c’est même à la portée de tout le monde à condition d’avoir un bon professeur et de faire des rappels de temps à autre. Je savais ainsi le faire, mais par manque de pratique, je n’y arrive plus. 

  2. Ma meilleure amie, incapable de se freiner sur les cadeaux de Noël justement parce que ça justifie ses pulsions d’achat. 

  3. Ce qui est carrément une hérésie. Les décorations de Noël ça se pose APRÈS le 1er décembre. On est pas des sauvages non plus. 

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Réunion de rentrée, voilà voilà

Pondu le 27 septembre 2016 - 0 commentaires

Jeudi dernier, j’ai eu la joie de participer contre ma volonté de mon plein gré à la réunion de rentrée des parents de la classe de CE1 du plus grand de mes petits monstres.

Ce gamin se tape de luxe d’avoir deux maîtresses, une pour le début de semaine, une pour la fin. Et comme je le pressentais, double de maîtresses = double de durée de réunion.

Pour l’occasion, nous étions dans la classe de nos chers bambins à 17h tapantes, et nous pouvions même nous installer à leur place puisque les maîtresses avaient disposé des petits panneaux avec le nom des enfants pour que nous parents puissions dire fièrement à des gamins qui s’en foutent qu’on s’était assis à leur place. Afin de bien marquer le coup, j’avais commencé à graver sur sa table « Dad was here », mais je me suis fait punir par Maîtresse n°1 et j’ai passé le reste de la réunion au coin.

Si je ne devais retenir qu’une seule chose de cette réunion, ce serait le mot « voilà ». Il a bien dû être prononcé par les deux maîtresses une bonne centaine de fois, parfois à l’unisson d’ailleurs.

La modernité ayant pénétré avec fracas dans nos institutions scolaires, toutes les classes sont équipées d’un vidéoprojecteur relié à un PC. L’avantage, c’est qu’aucun gamin ne risque de se prendre une craie lancée habilement entre ses deux yeux (bien que le traditionnel festival inter-écoles de lancer de craie ait toujours lieu chaque année, les élèves punis étant réquisitionnés en tant que cibles). Je présume que c’est comme les coups de règles sur les doigts de nos parents, tout se perd.

Les enseignantes ont donc allumé leur vidéoprojecteur pour nous montrer l’emploi du temps des enfants, nous avons ainsi pu voir qu’une des enseignantes a des pratiques sexuelles très libres grâce aux photos de vacances qu’elle avait récupéré sur l’ordinateur de la classe. Après nous avoir vanté les mérites des donjons sado-maso du bassin d’Arcachon, maîtresse n°1 nous a détaillé les deux premiers jours de la semaine.

 

Ne cliquez pas sur cette hôtesse, vous recevriez un coup de fouet.

L’hôtesse d’accueil du Palais de la Fessée à Arcachon

 

Il existe un cliché récurrent comme quoi les instits sont des feignasses qui passent leur temps en vacances, c’est pourquoi on nous a présenté un planning digne d’un ministre. Pas un ministre de la culture hein (sinon il n’y aurait eu que des petits fours et des cocktails d’inauguration), plutôt un ministre genre budget ou logement, qui fait des réunions pas marrantes dans lesquelles on ne rigole pas.

Un planning barbant donc, et super dense. J’ai bien regardé (en plissant les yeux parce que j’étais tout au fond1), je n’ai pas vu de créneau babyfoot, massage thaïlandais et origami ouzbek. Je me suis ainsi fait punir deux fois consécutives, la première fois pour avoir grossièrement interrompu la maîtresse sans avoir levé le doigt pour lui signaler ce qui me semblait être une anomalie, et la deuxième pour avoir confondu mon planning et celui de mon rejeton. J’ai donc dû copier 30 fois « Je ne dois pas interrompre la maîtresse en rotant bruyamment, ni raconter des âneries. »

Contrairement à ce que nous assènent à longueur de journée les vieux « C’était-mieux-avant », il semblerait que les élèves d’aujourd’hui apprennent les mêmes choses que les élèves d’hier, avec un peu d’anglais en plus. Leur intervenante étant d’un pragmatisme incroyable, elle commence l’année avec les jurons anglophones. C’est à dire toutes les variations à base de « fuck » comme « fuck off », « fuck you », « fucking fuck » et « what the fuck ». Les « motherfuckers », « shit », « sucker » et « bitch » devraient suivre jusqu’à la période de Noël.

Les mathématiques ne sont plus basés sur des nombres de pommes mais sur des valises d’argent transitant vers les paradis fiscaux. Sauf en zones prioritaires où on prend plutôt des voitures volées ou brûlées. Maîtresse n°2 nous a bien dit qu’effectivement c’était un peu discriminatoire, mais qu’il fallait bien adapter l’école aux enjeux modernes et que « cette différence était dictée par le pragmatisme et non par une idéologie de bisounours de merde, qu’il y en avait marre de tous ces culs-bénis bobos bien pensants qui s’offusquent pour un pet de lapin, ces hipsters bohémiens qui se font appeler des social justice warriors qui feraient bien de trouver une vraie occupation au lieu de fumer des joints en profitant du travail des autres ». C’est à peu près à ce moment-là que la maîtresse n°1 a dit que sa collègue avait un rendez-vous et qu’elle allait devoir nous quitter. Après avoir sorti la n°2 de force, la n°1 a donc continué en nous parlant du système de récompense qu’elle a instauré auprès des élèves.

Comme elle précisait que les punitions corporelles étaient interdites, maîtresse n°2 est entrée en trombe par la sortie de secours et s’est lancée dans un discours enflammé où il était question de ces lopettes politiquement correctes de pédiatres et pédopsychologues de merde qui feraient mieux de laisser bosser les gens compétents au lieu de pondre des théories fumeuses sur l’éducation des enfants des autres. J’ai applaudi bien fort, je me suis fait sortir en même temps que maîtresse n°2 par les gros bras de la sécurité.

Ce n’est qu’après cinq minutes que j’ai pu rentrer dans la classe, où je suis directement retourné au coin pour avoir beuglé « I’m back, bitches ! » au moment où je franchissais la porte.

Entre temps Maîtresse n°1 avait exposé son système de récompense, qui tourne globalement autour de la torture psychologique. Comme elle a dit, à un moment il faut bien montrer aux élèves que s’ils franchissent les limites il y a des sanctions. Alors qu’elle consultait ses fiches pour nous montrer un savant diagramme, maîtresse n°2 a fracassé une des fenêtres, a sauté dans la classe et nous a expliqué fort bruyamment que le lobby des psychiatres avait œuvré en sous-main auprès du gouvernement pour faire interdire les punitions corporelles pour une seule raison : les maltraitantes physiques sont plus facilement soignables que les souffrances psychologiques, du coup on force les gens à utiliser la violence psychologique en remplacement de la violence physique2.

La sécurité mit un peu plus de temps à évacuer la maîtresse n°2 cette fois, plusieurs parents commençant à prendre sa défense. Le calme revint surtout lorsqu’il fut rappelé que les gardes de sécurité étaient maintenant armés depuis les attentats. Un des parents qui mit en doute cette affirmation fut promptement tazé, ce qui acheva de convaincre les sceptiques.

Après une courte conclusion à base de « voilà », la maîtresse n°1 passa aux questions des parents.

Disons-le tout net, ce fut une boucherie.

La plupart des parents voulant montrer qu’ils étaient meilleurs parents que les autres, ils hurlèrent comme des gorets qu’on égorge pour se faire entendre et poser des questions allant du hors-sujet au complètement à côté de la plaque.

Maîtresse n°1 ne se laissa pas démonter et fit rappeler Maîtresse n°2. Son regard assez flippant et la bave qu’elle avait aux lèvres fit revenir le volume sonore dans la pièce à un niveau supportable et l’on put échanger courtoisement. Je vous passe le détail des questions, de toute façon ça ne m’intéressait pas.

Finalement j’ai pu m’enfuir vers 23h15, récupérer mes petits gamins qui faisaient cuire un écureuil à la broche autour d’un feu qu’ils avaient réussi à allumer dans la cour de l’école et rentrer dans ma chaumière en évitant les bandits de grand chemin qui sévissent par chez moi.

Voilà.


  1. Il est d’ailleurs assez curieux que l’être humain rétrécisse son champ de vision lorsqu’il a besoin de mieux voir, il doit bien y avoir une raison plus ou moins scientifique que nos chers savants aborderont très probablement dès qu’ils auront fini de trancher définitivement la question de savoir qui est le plus balèze entre l’éléphant et le rhinocéros. 

  2. A ce sujet, l’Association des Pédopsychiatres Francs du Collier a indiqué dans sa brochure à destination des parents et éducateurs que la violence psychologique étant plus compliquée à vérifier que les marques de coup, les parents peuvent s’y adonner avec un minimum de risques. 

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